Le chef des Apaches

Marseillan s’était doté dans les années soixante d’un établissement de bains-douches municipal et Mô en avait fait son hammam ; comme tous ceux qui n’avaient pas de salle de bains, il s’y récurait à l’eau très chaude une fois par semaine, le samedi, surtout l’hiver.

Loïc et sa bande aussi. Des hippies peace and love, souriants et graves.

Ils se parlaient, en discussion permanente, jusque dans le hall des bains, s’attendaient et se déplaçaient en groupe, jamais pressés, toujours détendus…

Ils étaient arrivés dans un vieux bus tagué et bariolé, qui rendit l’âme le lendemain, trop fatigué, suivi d’un camion benne chargé de matériaux divers. Ils avaient sollicité et obtenu du maire, à leur étonnement extrême, l’autorisation d’installer la communauté sur un terrain vague, derrière la cave coopérative de vinification, au bord de l’étang de Thau, sur un rivage sauvage et plat.

Après avoir fauché la baouque à la main, la tribu construisit de bric et de broc, un bidonville et un chantier naval tout à fait extraordinaires.

Loïc, l’homme à la barbe noire, le pirate, l’ingénieur, le chef des Apaches, (le village n’était jamais en peine pour les surnoms), avait inventé, disait-il, un procédé de construction pour les coques de voiliers de haute mer, en béton armé et résine de polyester.

Ils étaient donc une vingtaine à vivre sur les marges du village, curieux, ouverts, sans complexes et discutant avec tout le monde. Ils reniflèrent vite en Mô un marginal chichois, plus asocial qu’eux ; du coup les femmes de la horde l’invitèrent pour le réveillon de Noël.