Comment échapper à Cerbère

Ils erraient au milieu de la troisième orbite où tombait une pluie éternelle et maudite, lourde, noire, glacée car mêlée de grêlons et de neige. Le sol, la boue qui les recevaient, en étaient infectés. Ils ralentirent, comme englués de fange et de lassitude, puis stoppèrent : Cerbère aboyait au loin et l’aboiement sortait de sa triple tête contre les malheureux plongés dans ce bourbier. Eux hurlaient, présentant tour à tour leur flanc dénudé au supplice implacable et lui, rampant, noir, l’oeil en feu, la crinière sanglante, allait les déchirant de ses griffes de fer et quand il le pouvait, en sus, pour son délice, leur broyait le crâne de ses crocs acérés et mangeait leur cerveau.

« Un monstre ?
— Un chien à trois gueules : Cerbère.
— Il lui suffira de deux pour nous dévorer.
— Peut-être, ou peut-être pas… Ramasse de la terre, petit, ramasse. »

nellocerbere
Céramique 1/4 de Nello Stevanin, potier, artiste

Les mains pleines de boue, ils approchaient la bête par derrière quand elle se retourna vers les hommes gelés. Elle donna de la voix comme un triple tonnerre. Tétanisés, cloués au sol, le hurlement leur vrillait les tympans. Il n’était plus temps de courir, l’autre se ramassait, les yeux fous, prêt à bondir…
« Jette-lui la boue ! »
Mô jeta ses poignées aux trois têtes du fauve.
« Et maintenant ?
— Le goulu était censé la manger.
— Dans vos rêves…
— On fait face. Recule. »
Henri se délestait de son sac à dos et, le brandissant devant lui, s’avança pas à pas, sans trembler.
Mô lui cria :
« Vous êtes cinglé !
— Hume mon sac, bestiole. Allez, renifle ! »
Au moment où le monstre alléché et bavant avançait une tête, les tenant toutefois en respect des deux autres, Henri balança l’appât loin derrière son dos. Contre toute attente, Cerbère se retourna et y courut, libérant le passage, et pendant que trois gueules à grands cris se disputaient la prise, ils purent s’enfuir, foulant sans vergogne les corps embourbés, éventrés et palpitants pour courir plus vite. Ils galopaient sans souffler, sans se retourner, et ils finirent par tomber, harassés, à l’orée d’un chemin qui descendait.
Ils étaient sortis de la glaise, de la neige et de la pluie ; Henri tendit la flasque à Mô qui la vida et la jeta

« Vous manquez pas d’air, je le reconnais.
— J’ai affronté les chars KV russes, petit. »