« Salut.
– …
– Je te parle, parce que je t’ai déjà vue, toi et moi on se connaît.
– …
– C’est pas un baratin idiot. Je t’ai rencontrée en rêve. Il y a quelques heures. On était sur un bateau antique, une corbite ou 50
une galère, en pleine tempête avec des mercenaires, romains, un nain balèze et un vieux sculpteur grec : Lysippe.
– …
– Je sais, c’est dingue. Ça te dit quelque chose ?
– …
– J’ai connu une mutique. Elle a disparu de ma vie. Toi, tu es muette ou tu refuses de me parler ?
– …
– Tu n’as pas tort. Je dois avoir l’air d’un allumé complet.
– …
– Dans mon rêve tu parlais celte. D’où tu viens ?
– Écosse ou Danemark, Norvège, Suède…
– Ha ! Tu parles ! Attends ! C’est pas le même : Écosse ? Danemark ? Suède ou Norvège ?
– J’ai perdu le souvenir. Perdu le nord. Voyagé si longtemps que je ne sais plus d’où je viens.
– Vraiment ?
– Je ne me rappelle pas l’enfance, mon pays, mes parents. Je me revois pareil : une femme, aussi loin que je me souvienne, et le voyage…
– Ah ! Qu’est-ce qui est écrit sur tes papiers d’identité ? Tu es quoi ?
– J’ai pas les papiers.
– D’accord…
– Jamais eus, ou perdus…
– Incroyable, et tu n’as pas vraiment d’accent.
– Toi par contre, tu as l’accent de ton Sud, d’ici. Ça se voit, ça s’entend, tu ressembles à une pierre, à un … escargot.
– De mer, un poivre de l’étang de Thau.
– Un escargot au poivre ?
– Un murex si tu préfères, aphrodisiaque disent les vieux, si ça te dit d’y goûter…
– Je ne comprends pas.
– Moi non plus. J’ai l’impression de rêver et je flotte un peu là. Journée dure. Je suis crevé et je te regarde. Que tu existes et que, par-dessus le marché, tu t’intéresses à ma personne, je me demande si tu es réelle ou si tu vas te dissoudre, te dissiper dans l’air, comme un mirage.
– Quelle drôle d’idée.
– Je n’ai jamais eu les pieds sur terre, c’est dans l’eau que je suis le meilleur. J’ai besoin d’eau, besoin de me baigner, là, pour me réveiller. Voyons si tu te baignes avec moi.
– Où ça ?
– Là, dans le port.
– C’est pas sale ton port ?
– Non. Pas trop.
– Tu cherches à m’entraîner dans ton élément ?
– Penses-tu ! Je devine que tu es trop forte pour moi. Alors ?
– Je viens, homme du liquide… »